
Les mesures actuelles de distanciation physique sont essentielles en vue de ralentir la propagation du virus. Celles-ci nous ont amené à nous adapter dans notre travail ainsi que dans notre vie au quotidien. Travailler de la maison est, en effet, devenu une habitude pour nombreux d’entre nous. Nous sommes également amenés à réduire drastiquement nos contacts avec nos amis et notre famille. Nos interactions sociales ont ainsi fortement diminuées. Par moment, il est donc tout à fait normal si nous nous sentons seul(e) et coupé(e) du monde. Toutefois, ce sentiment d’isolement peut avoir d’importantes répercussions sur notre bien-être et ce, en particulier, lorsqu’il perdure dans le temps comme c’est le cas avec la crise actuelle. Dès lors, comment lutter contre ce phénomène grandissant ? C’est ce que nous allons tenter de répondre dans cet article au travers de la notion du soutien social, une ressources essentielle en matière de bien-être et particulièrement efficace pour réduire le sentiment d’isolement. Nous aborderons également quelques pistes concrètes pour vous ainsi que pour les entreprises en vue de maintenir ce lien social malgré la distance.
Le sentiment d’isolement et son impact sur le bien-être
Une étude récente réalisée par Stepstone et la KU Leuven (2020) (1) sur un échantillon de 2845 travailleurs belges révèle que 78% des participants ont souligné une diminution de leurs interactions sociales au travail durant la crise du coronavirus. Plus de la moitié des participants (50,6%) estiment même que leurs interactions sociales ont diminué de manière radicale. Dans une autre enquête réalisée par Ipsos en septembre 2020 (2), on peut constater également que 31 % des travailleurs interrogés ont ressenti un sentiment d’isolement par rapport à leurs collègues de travail. Ce sentiment d’isolement professionnel a déjà été soulevé dans de nombreuses études portant sur les conséquences du télétravail. Notamment, les travailleurs qui font régulièrement du télétravail se plaignent d’un manque de socialisation (3), d’un sentiment de se sentir « à part » (4) ou encore d’un sentiment d’isolement professionnel (5,6). L’absence de communication en face à face, le manque de proximité ou encore le fait de ne pas pouvoir partager ses préoccupations avec ses collègues sont les principales causes de ce sentiment d’isolement. Une récente méta-analyse réalisée sur le sujet montre que passer plus de deux jours par semaine à travailler en dehors du bureau est associée à une détérioration de la qualité des relations entre collègues (7).

Mais qu’est-ce que le sentiment d’isolement professionnel ? Selon certains auteurs ce sentiment se manifeste essentiellement par un manque de contacts en face à face, d’interactions et de soutien social entre collègues (« Isolement social ») (3,4). D’autres auteurs y intègrent, en plus de la dimension sociale, un manque de soutien au niveau technique et organisationnel (« Isolement professionnel ») (8,9). Ces auteurs incluent notamment un manque au niveau du réseautage interpersonnel, de l'apprentissage informel (développement des compétences, échanges d’informations) ou encore du "mentorat" par les pairs. Il s’agit d’un véritable sentiment de déconnexion envers l’entreprise et ses collaborateurs. Ce sentiment d’isolement peut fortement varier d’un travailleur à l’autre. En effet, certains n’en souffrent pas du tout, alors que d’autres éprouvent de réelles difficultés à passer de longues heures seuls. Ceux qui ont un besoin important d’interactions sociales peuvent même éprouver ce sentiment de manière extrême. Cela peut se caractériser par un repli sur soi ou sur son activité mais aussi par une faible verbalisation de sa situation. La personne passe d’un mode actif focalisé sur la gestion de la situation, à un mode passif dominé par les émotions négatives.
Ce sentiment d’isolement professionnel peut avoir des répercussions délétères importantes en matière de bien-être (9,10,11) :
Diminution de la satisfaction et de l’engagement
Augmentation de l’anxiété ainsi que du sentiment d’inutilité
Dégradation de l’ambiance au sein de l’équipe et du sentiment d’appartenance à l’entreprise
Impact négatif sur les performances individuelles et collectives
Augmentation de la consommation de substances psychoactives (p.ex., alcool, tabac, psychotropes).
Ainsi privé de l’aspect relationnel, un sentiment d’isolement peut s’installer et diminuer le bien-être au travail. En cette période de confinement caractérisée par une diminution drastique de nos liens sociaux, ce sentiment risque d’être plus important encore pour chacun de nous. Dès-lors, de quelles ressources disposons-nous pour pouvoir y faire face ?
L’importance du soutien social
Il est largement considéré que le soutien social est une ressource essentielle en vue de garantir le bien-être et l’engagement des travailleurs (12). Déjà les tout premiers modèles sur le stress au travail ont mis en évidence le rôle important joué par celui-ci. Ainsi dans le « Job Demands-Control-Support Model », les auteurs montrent qu’il y a un faible niveau de stress lorsque les exigences de travail sont basses et que la latitude décisionnelle ainsi que le soutien social sont élevés (13,14). Cette assistance peut provenir de ses collègues ou de son supérieur mais également de son entourage privé. Les études qui se sont penchées sur le sujet font la distinction entre deux types de soutien (15): "émotionnel" (c.-à-d., les attitudes de sympathie et de réconfort telles que s’intéresser au travail, écouter les difficultés rencontrées, distraire la personne) et "instrumental" (c.-à-d., les comportements d’aide et de résolution de problèmes tels que se repartager les tâches dans l’équipes, alléger les contraintes familiales ou encore trouver des solutions par rapport aux difficultés rencontrées au travail). Ces études ont montré que ces deux types de soutien sont liés positivement à la satisfaction dans le travail ainsi qu’à la satisfaction dans la vie en général. La relation à l’autre permet ainsi d’apporter une aide sur un plan opérationnel (résolution de problème) et affectif (empathie). En d’autres termes, le soutien des collègues, du supérieur ou des proches permet au travailleur de nourrir sa réflexion, de voir les situations sous un angle diffèrent, d’enrichir sa réflexion au travers de celle de l’autre ou encore de se distraire et penser à autre chose.
Il semble ainsi essentiel d’arriver à garder un lien avec ses collègues et son entourage privé malgré la distance physique qui nous est imposée avec la crise actuelle. Plusieurs études ont montré que lorsque qu’il y a du soutien organisationnel en télétravail (c.-à-d., communication par la direction pour cadrer, donner des repères, promouvoir le soutien et le dialogue social), les individus se sentent moins isolés socialement, présentent moins de troubles psychologiques et sont plus satisfaits dans leur travail (16). De même, il a été montré que le développement et le maintien de bonnes relations entre collègues en télétravail permettent d’augmenter la satisfaction (11,17) et l’engagement organisationnel (11).
Comment maintenir ce soutien social avec la distance ?
Comme nous venons de le souligner, il est essentiel de pouvoir garder un lien avec ses collègues et son entourage privé si l’on veut préserver son bien-être et diminuer ce sentiment d’isolement. Mais comment faire étant donné la distance physique que nous devons maintenir suite à la crise sanitaire que nous traversons pour le moment ? Voici quelques pistes pour vous personnellement ainsi que pour les entreprises :
Pistes personnelles :

Accordez-vous des moments de pause pour vous détendre et profitez-en pour une brève conversation informelle avec vos collègues. Ce n’est pas parce que vous n’êtes pas au bureau que vous ne pouvez pas garder ces moments d’échanges. Vous pouvez être créatif et mettre en place des routines avec vos collègues telles que prévoir des pauses café ou manger ensemble le midi par vidéo-conférence, se dire bonjour le matin via un « chat » d’équipe, etc.
Prenez régulièrement des nouvelles de vos collègues lorsque vous n’êtes pas au bureau et communiquez-leur vos disponibilités et moyens d’être contacté. Privilégiez les vidéoconférences lorsque vous souhaitez les joindre. Le fait de pouvoir les voir à l’écran vous aidera à vous sentir moins seul(e) et plus proche de votre équipe. Ce mode d’échange d’information permet aussi d’éviter les mauvaises interprétations issues des mails ou d’autres contacts par écrit.
Si vous avez le temps et l’énergie, vous pouvez également être le moteur de nouveaux projets afin de briser une certaine routine et de pouvoir partager et collaborer avec vos collègues autour de sujets qui vous tiennent à cœur et qui ont du sens pour vous.
Si vous pouvez aller de temps en temps à votre bureau, privilégiez et augmentez les échanges en face à face avec vos collègues ces jours-là tout en respectant les mesures de sanitaires évidemment. Cela vous permettra de combler les autres jours où vous ne les voyez pas.
En vue d’accroitre ou de diversifier votre réseau social, joignez-vous à des groupes en ligne et prenez part aux discussions, webinaires et autres activités d’échanges qui vous tiennent à cœur. Cela vous aidera à assouvir votre besoin d'interaction sociale et à rester en contact avec d’autres personnes qui vivent la même situation que vous.

Restez en contact avec vos amis et les membres de votre famille par téléphone ou par vidéo. Ces échanges vous permettront de vous soutenir mutuellement et de maintenir le lien. À nouveau, vous pouvez être créatif dans vos échanges (p.ex., jouer aux cartes ou à des jeux de société virtuels avec des amis, partager un apéro ou un souper de famille virtuel, s'entrainer pour le sport, la musique ou autre avec vos proches en vidéo). Les promenades en extérieur constituent également un excellent moyen pour voir vos proches en toute sécurité.
Si vous vous sentez isolé(e), n’hésitez pas à demander de l’aide auprès de vos collègues ou de votre entourage privé. Rappelez-vous que vous n’êtes pas seul(e) à ressentir cela en cette période particulièrement difficile et qu’il n’y a pas lieu d’être honteux ou gêné. Ce soutien n’implique pas nécessairement une aide concrète et matérielle mais peut être simplement un moment d’échange vous permettant de trouver du réconfort, des encouragements ou encore de vous distraire. Si vous avez peu de personnes dans votre entourage susceptibles de vous aider à un moment où vous allez moins bien, n’hésitez pas à prendre contact avec un spécialiste (par exemple, un coach ou un psychologue).
Pistes pour les entreprises :

Prévoir des logiciels ou plateformes technologiques efficaces qui favorisent les échanges entre collègues. La vidéoconférence est le meilleur outil (16,18) pour garder un lien entre les membres d’une équipe ou d’une entreprise et éviter le sentiment d’isolement que ce soit pour diffuser des annonces en interne, organiser des formations et des réunions, intégrer de nouveaux arrivants etc… Il pourrait également être intéressant de développer une plateforme d’échanges ou un réseau pour les personnes en télétravail afin de leur permettre de pouvoir plus facilement échanger entre elles.
Organiser des réunions individuelles et d’équipe par vidéoconférence en période de télétravail prolongé est essentiel. Celles-ci permettent de fixer des objectifs de travail clairs, s’assurer que tout le monde va bien et garder une cohésion d’équipe. Il importe toutefois de ne pas surcharger les travailleurs de réunions et de veiller à garder un juste équilibre entre les besoins d’interactions et la charge de travail. Pour cela, vous pouvez organiser certaines réunions dont la présence n’est pas obligatoire ou évaluer les besoins de chacun en la matière. Ces réunions peuvent également être tout à fait informelles (p.ex., discussions autour de sujets non professionnels, pause-café numérique) en vue de maintenir le contact.
Encourager et sensibiliser les managers à l’importance de se montrer bienveillants, disponibles et à l’écoute de leurs collaborateurs en télétravail. Les managers peuvent également lancer des projets de travail en commun en vue de favoriser la collaboration entre les membres de son équipe en leur fournissant évidemment les moyens technologiques adaptés.
Maintenir les entretiens de fonctionnement ou d’évaluation à distance et diffuser de l'information sur les possibilités de carrière (p.ex., formations, postes disponibles). Cela permet aux travailleurs de continuer à voir leurs perspectives d’évolution même à distance.
Rechercher un équilibre optimal entre le travail à distance et le travail au bureau si le contexte épidémiologique le permet. Afin de limiter le sentiment d’isolement des travailleurs, l'idéal serait de garder deux à trois jours de présence au bureau par semaine (18). Ces jours de travail au bureau permettent de renforcer la cohésion d’équipe. Il importe évidemment de planifier de manière efficace les jours de présence ou non de chacun des travailleurs (p.ex., en alternant les jours entre les travailleurs, en veillant à ce que ce ne soit pas toujours les mêmes collègues qui soient présents en même temps, etc.).

Désigner des personnes de soutien vers lesquelles les travailleurs peuvent se tourner en cas de difficultés (p.ex., une personne de confiance en interne, le service sociale ou des ressources humaines, le conseiller en prévention aspects psychosociaux du service externe, etc.). Il importe de veiller à ce que chaque travailleur ait la connaissance de l’existence de ces personnes et sachent clairement comment les joindre lorsqu’ils sont en télétravail. Mettre en place des groupes de soutien en ligne peut également être bénéfique pour les travailleurs qui se sentent isolés.
Références :
(1) Etude réalisée en collaboration avec le professeur De Witte et Anahí Van Hootegem de la Faculté de Psychologie et des Sciences de l’Éducation de la KU Leuven (Research Group Work, Organisational & Personnel Psychology; WOPP-O2L).
(2) Étude IPSOS menée par MILDECA et ses partenaires - ANSES, Anact, INRS, OFDT, Santé Publique France et le COCT
(3) Tietze, S., & Nadin, S. (2011). The psychological contract and the transitfrom office-based to home-based work. Human Resource Management Journal, 21, 318–334.
(4) Sewell, G., & Taskin, L. (2015). Out of sight, out of mind in a new world of work? Autonomy, control, and spatiotemporal scaling in telework. Organization Studies, 36, 1507–1529.
(5) Grant, C. A., Wallace, L. M., & Spurgeon, P. C. (2013). An exploration of the psychological factors affecting remote e-worker’s job effectiveness, well-being and work-life balance. Employee Relations, 35, 527–546.
(6) Mann, S., & Holdsworth, L. (2003). The psychological impact of teleworking: Stress, emotions and health. New Technology, Work and Employment, 18, 196–211.
(7) Charalampous, M., Grant, C. A., Tramontano, C., & Michailidis, E. (2019). Systematically reviewing remote e-workers’ well-being at work: a multidimensional approach. European Journal of Work and Organizational Psychology, 28, 51–73. https://doi.org/10.1080/1359432X.2018.1541886
(8) Cooper, C. D., & Kurland, N. B. (2002). Telecommuting, professional isolation, and employee development in public and private organizations. Journal of Organizational Behavior, 23, 511–532.
(9) Morganson, V. J., Major, D. A., Oborn, K. L., Verive, J. M., & Heelan, M. P. (2010). Comparing telework locations and traditional work arrangements: Differences in work-life balance support, job satisfaction, and inclusion. Journal of Managerial Psychology, 25, 578–595.
(10) Xanthopoulou, D., Bakker, A.B., Demerouti, E., & Schaufeli, W.B. (2007). The role of personal resources in the Job Demands-Resources model. International Journal of Stress Management, 14, 121-141.
(11) Golden, T. D., Veiga, J. F., & Dino, R. N. (2008). The impact of professional isolation on teleworker job performance and turnover intentions: Does time spent teleworking, interacting face-to-face, or having access to communication-enhancing technology matter? Journal of Applied Psychology, 93, 1412–1421. https://doi.org/10.1037/a0012722
(12) Demerouti, E., Bakker, A. B., Nachreiner, F., & Schaufeli, W. B. (2001). The job demands- resources model of burnout. Journal of Applied Psychology, 86, 499-512.
(13) Johnson, J. V., & Hall, E. M. (1988). Job strain, work place social support, and cardiovascular disease: a cross-sectional study of a random sample of the Swedish working population. American Journal of Public Health, 78, 1336-1342, https://doi.org/10.2105/AJPH.78.10.1336
(14) Karasek, R. A., & Theorell, T. (1990). Healthy Work: Stress, Productivity, and the Reconstruction of Working Life. New York: Basic Books.
(15) King, L. A., Mattimore, L. K., King, D. W., & Adams, G. A. (1995). Family support inventory for workers: A new measure of perceived social support from family members. Journal of Organizational Behavior, 16, 235-258.
(16) Bentley TA, Teo ST, McLeod L, Tan F, Bosua R, Gloet M. The role of organisational support in teleworker wellbeing: a socio-technical systems approach. Appl Ergon, 52, 207-15. doi: 10.1016/j.apergo.2015.07.019.
(17) Martha J. Fay & Susan L. Kline (2012) The Influence of Informal Communication on Organizational Identification and Commitment in the Context of High-Intensity Telecommuting, Southern Communication Journal, 77:1, 61-76,DOI: 10.1080/1041794x.2011.582921
(18) Vantilborgh, T., De Winter, E., Desmette, D., Lang, J., Stinglhamber, F., Van den Broeck, A., & Verbruggen, M. (2020). Working from home in times of COVID-19: Recommendations based on scientific literature. Supported by the Belgian Association of Psychological Sciences (BAPS), Vereniging voor Organisatie-, Consumenten, en Arbeidspsychologie (VOCAP), and the expert group on Corona and Psychology